Le Grenelle de l’environnement, une souris verte par Bruno Rebelle
Posté par jeanluke le 21 octobre 2007
par Bruno Rebelleconseiller en politique et stratégie environnementale, ancien directeur de Greenpeace France, conseiller de Ségolène Royal.
Le gouvernement vient de communiquer un document présenté comme la « trame de négociation finale » pour le Grenelle de l’environnement. Cette première ébauche est plutôt inquiétante et l’on peut sérieusement redouter que cet exercice pourtant intéressant dans le principe et les ambitions, n’accouche que d’une petite souris, fût-elle un peu verte !
On pourrait commenter les hésitations sur la méthode qui traduisent, probablement, l’inquiétude du de nos dirigeants. La boîte à idées, ouverte par la première phase de Grenelle, avance des propositions qui auraient pu impulser des changements significatifs dans l’organisation du rapport de notre société à la production, à la consommation, à l’environnement. Mais la grogne monte dans les rangs de la majorité, au MEDEF et à la FNSEA… Jusqu’au rapporteur de la commission sur les freins à la croissance, Jacques Attali, qui ne propose pas moins que de retirer le principe de précaution de la Charte de l’environnement, adossée à la Constitution depuis peu.
L’Etat, à son plus haut sommet, reprend donc le contrôle de l’exercice… Passés les enthousiasmes initiaux, sur le caractère novateur de ce dialogue multi-acteurs, le naturel revient au galop et on apprend que le Président de la République conclura, lui-même la table ronde prévue fin octobre et fera le tri – probablement sélectif – des mesures « convenables » et de celles qu’il faudrait mieux incinérer au plus vite. Ce Grenelle n’en n’est plus un, l’idée de négociation fait place une fois encore à la décision unilatérale.
Au-delà des commentaires sur la méthode, on doit regretter que cette « trame » reste extrêmement vague sur les engagements qui devront être discutés à la fin du mois d’octobre. Confronté aux critiques des associations, des syndicats et des collectivités, le gouvernement se trouve contraint de proposer une nouvelle version dans quelques jours.
Sans attendre cette copie de rattrapage, il est intéressant d’analyser les propositions dans le domaine réputé prioritaire qu’est la lutte contre le changement climatique. La timidité des objectifs avancés dans les secteurs du bâtiment et des transports ne permettra pas, en l’état, d’infléchir significativement les émissions de gaz à effet de serre dans ces domaines pourtant clefs de l’action. Certes les détails ne sont pas encore arrêtés, mais c’est justement ce qui gêne. C’est évidemment le niveau des exigences en matière d’économie d’énergie qui constituera une possible rupture. Partant dans le flou on risque bien de n’arriver nulle part !
34 milliards pour les transports ?
D’autant que rien n’est dit sur les moyens qui seront débloqués pour engager des politiques publiques ambitieuses. Ainsi en matière de transport, le gouvernement souligne que des investissements de l’ordre de 18 milliards sont nécessaires pour répondre aux besoins des collectivités locales pour les transports collectifs. Un autre paquet de 16 milliards devrait être mobilisé dans les quinze prochaines années pour le développement du TGV. Quand on sait l’état des finances publiques et du déficit budgétaire, on peut être inquiet… Et l’on en vient, bien sûr, à rapprocher ces investissements nécessaires et non financés, des cadeaux fiscaux aux ménages les plus aisés – 15 milliards par an. Une utilisation plus responsable des ressources publiques eût été préférable et probablement plus bénéfique pour la planète.
Faudra-t-il que les Régions qui gèrent depuis 2004 les Trains Express Régionaux augmentant leur fréquentation de 10% par an prennent encore à leur charge ces investissements ? Comment le feront-elles quand une part de leur ressource dépend de la Taxe Intérieur sur les Produits Pétroliers (TIPP), taxe dont le produit baisse d’autant plus vite que les politiques de développement des transports publiques sont plus efficaces ? Le Grenelle mettra-t-il un terme à ce mode de financement qui pénalise d’autant plus les politiques vertueuses quand elles sont efficaces ?
En matière de transport marchandise, l’intention « d’offrir une alternative au camion » n’est soutenue par aucun programme sérieux d’investissement sur les infrastructures, en dehors des réalisations déjà programmées comme le canal Seine Nord-Europe. Bien sûr l’instauration d’une éco-redevance kilométrique sera une bonne nouvelle, si elle n’est pas torpillée avant la fin des négociations. Mais cette mesure ne rapportera qu’un petit milliard d’euros par an en régime de croisière, loin des montants qu’il sera nécessaire d’engager pour transférer sur le rail et la voie fluviale une part significative des camions qui encombrent nos routes et aggravent nos émissions de CO2.
L’impasse énergétique
Toujours en matière d’énergie et de lutte contre le changement climatique, il convient de souligner l’ambition affichée d’atteindre 20% d’énergie renouvelable en 2020… en se rappelant que cet objectif n’est rien d’autre que l’engagement pris par la France avec ses partenaires au Sommet Européen des 8 et 9 mars 2007. Il est préoccupant de constater qu’à aucun moment cet objectif n’est mis en regard d’une nécessaire reconsidération du bouquet énergétique que la France devrait adopter pour atteindre le facteur 4 inscrit dans la loi de 2005, réduire ses importations de pétrole, de gaz et d’uranium et limiter la production de déchets nucléaires qui sont un bien vilain cadeau aux générations futures. Cet entêtement à nier la nécessité d’un débat de fond sur la politique énergétique, sans dogmatisme et sans angélisme, risque bien de plomber durablement les efforts, aussi ambitieux soient-ils, pour développer les énergies renouvelables.
Pas plus qu’on ne fait facilement du neuf avec du vieux on ne peut espérer dynamiser ce secteur sans reconsidérer les facteurs institutionnels et politiques qui le bloquent depuis plusieurs décennies. La publication à quelques jours du Grenelle du rapport du Conseil d’Analyse Stratégique présenté par Jean Syrota, qui assène que la France ne pourra atteindre le facteur 4, est une nouvelle preuve des blocages dans lesquels s’enlise notre pays. Monsieur Syrota a d’une certaine façon raison : sans changer de mode de pensée, on ne pourra ni diviser par 4 les émissions de CO2 d’ici 2050, ni réduire durablement notre facture énergétique… Il faut aujourd’hui repenser la politique énergétique en décentralisant et en déconcentrant la production de chaleur et d’électricité. Il faut valoriser la proximité qu’offrent les collectivités territoriales pour développer les énergies renouvelables en les diversifiant. L’expérience des Régions est très intéressante et démontre le potentiel de création d’emplois de ce secteur. Il faut mettre à l’honneur les économies d’énergie et l’efficacité car cette énergie qu’on ne consomme pas est bien celle qui nous coûte le moins cher et qui ne pollue pas. Il faut changer de repère et repenser les fondements de notre politique énergétique.
Il faudrait surtout reconsidérer la nature des relations entre Etat et collectivités territoriales. Car bon nombre des mesures qui pourraient sortir du Grenelle seront d’une façon ou d’une autre à la charge des grandes agglomérations, des intercommunalités et des Régions. Sans une concertation approfondie et prolongée pour tirer le meilleur de la décentralisation, notre pays ne pourra pas répondre aux enjeux du développement durable. Le Grenelle de l’environnement devrait au moins servir à sortir d’un jacobinisme paralysant.
Une occasion qui risque d’être une occasion manquée, dommage !
d’après : Actualités de Ségolène Royal & du PS
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