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Discours de Ségolène Royal à Dakar

photo123912952626370.jpgChères amies, chers amis, 
Ségolène Royal a prononcé un discours au siège du Parti socialiste, à Dakar, ce lundi 6 avril.
Lire l’intégralité du discours de Ségolène Royal à Dakar en cliquant ici » Merci, chers amis de votre hospitalité, dont je sais qu’en wolof, elle se dit teranga. Un mot magnifique qui exprime une valeur que, de longue date, les civilisations africaines exaltent.Dans cette salle qui porte son nom, je pense bien sûr à l’œuvre de Léopold Sedar Senghor, à ce qu’il voulut et fit pour pour son pays.Je pense aussi, et votre université porte aujourd’hui son nom, à Cheikh Anta Diop.

Je pourrais vous dire que je suis une amie ancienne et fidèle du peuple sénégalais: mais je vous dirai beaucoup plus : je suis une fille de l’Afrique et une sœur des hommes et des femmes d’ici.

C’est sur votre terre que je suis née, à Ouakam. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de deux ans. Je n’en ai pas beaucoup de souvenirs conscients. Mais tout s’est imprimé. Car on garde enfouis en soi les couleurs, les musiques, la chaleur, la lumière, les parfums engrangés dans les premiers jours de sa vie. De cette naissance j’ai toujours ressenti un profond sentiment de fierté. C’est une force d’être une citoyenne du monde et d’avoir toujours le réflexe de regarder ce qui se passe loin de nos frontières et plus loin encore dans l’hémisphère sud. (…)

Nous vivons une époque historique, avec une crise sans précédent faite de drames mais aussi d’opportunités. L’opportunité de nous en sortir en décidant des changements profonds et des valeurs nouvelles qui nous permettront d’inventer le monde d’après, un monde plus humain et plus juste.

L’aménagement à la marge du système actuel ne permettra pas la sortie de crise. Les peuples doivent exiger de leurs gouvernants et de leurs élites qui n’ont su ni anticiper, ni guérir, qu’ils changent de logique.

Partout les peuples se révoltent. Il n’y aura pas de paix sans justice. Et il n’y aura pas de justice sans respect. La finance doit impérativement être mise au service de l’économie réelle et l’économie réelle au service des hommes et des femmes.

Une crise écologique sans précédent menace notre survie. Depuis 2000, le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles a triplé. D’ici 2040 un milliard de personnes seront contraintes à se déplacer, victimes de la sécheresse, de l’appauvrissement des sols, de la hausse du niveau de la mer. La plupart seront originaires des pays en développement et du continent africain en particulier. Les forêts denses de ce continent sont menacées par la surexploitation des sols et par une agriculture intensive destinée non pas à nourrir les peuples mais aux seules exportations. En 2025, 750 millions de personnes vivront dans des zones désertiques. Aujourd’hui déjà, seule la moitié de la population africaine a accès à l’eau potable.

Une crise financière et bancaire d’une ampleur inouïe provoque par ailleurs une crise économique et sociale mondiale. Cette crise, l’Afrique et les pays émergents n’en sont pas responsables et pourtant ils en sont les premières victimes. Pour la première fois depuis 50 ans, le commerce mondial s’est contracté de près de 10%. L’accès au financement pour des projets de développement a lui aussi été réduit de plusieurs milliards de dollars. L’Afrique, trop souvent oubliée de la mondialisation, est aussi l’oubliée des plans de relance. Les bailleurs du Fonds monétaire international et en particulier les Pays du Nord, devront impérativement consacrer le triplement des réserves décidées lors du G20 aux pays en développement, notamment à l’Afrique.

La boulimie financière, l’avidité de profit, la gloutonnerie d’argent ont conduit le monde au bord du précipice en inversant les valeurs, en prenant l’accessoire pour l’essentiel, en oubliant que le bonheur des êtres humains – éducation, santé, culture, alimentation, cadre de vie – doit impérativement passer avant tout le reste, oui je dis bien tout le reste.  (…)

J’aime cette phrase de Martin Luther King : « Il n’y a que quand il fait suffisamment sombre que l’on peut voir les étoiles. »

Une de ces lueurs est apparue récemment, aux Etats-Unis d’Amérique avec l‘élection de Barack Obama. Au-delà du symbole de cet homme noir, jeune qui accède à la première puissance du monde et redonne une fierté à tous les hommes et femmes de couleur et plus largement, à ceux qui se sentent opprimés, au-delà de ce symbole créateur d’espoir, il y a la politique américaine qui change radicalement. (…)

Oui, je crois à la force citoyenne, la force du peuple qui se dresse, comme s’est dressé le peuple des outremers, autour d’un leader qui a porté la soif de justice et de respect : Elie Domota. Aucune atteinte à la dignité, aucune arrogance ne peut résister à la force de conviction et à la détermination d’un peuple qui a soif de respect et d’actions justes.

L’écoute, la démocratie participative, la médiation font leurs preuves partout où elles s’appliquent. Là où l’écoute est défaillante, là où l’exaspération et la violence surgissent.

Plusieurs révolutions soufflent sur le monde et notamment une révolution des couleurs. Nous sentons bien que nous sommes à un tournant. Mais nous ne savons pas quel en sera le sens.

Si bien que la question qui se pose à nous aujourd’hui, Sénégalais et Français, Africains et Européens, est celle-ci : Que faire naître ensemble ? Et comment le faire naître? (…)

Je crois que nous avons le devoir de poser les mots justes sur ce qui fut. Car les mots font plus que nommer : ils construisent la réalité et le regard qu’on porte sur elle. Nos plaies d’histoire ne sont pas toutes cicatrisées. Le devoir de mémoire n’a pas besoin de permission. Chacun s’en acquitte avec la subjectivité et l’héritage qui est le sien. Ce dont, en revanche, nous sommes collectivement comptables et responsables, c’est du droit à l’histoire et du devoir de vérité.

Ce droit à l’histoire et ce devoir de vérité, c’est ce qui permet de regarder les faits en face et de partager un récit qui ne soit pas ressassement du passé mais moyen de le dépasser sans amnésie et de se projeter ensemble dans l’avenir.

Dans la dernière lettre qu’il a écrite à sa femme avant d’être assassiné, Patrice Lumumba a dit sa foi inébranlée dans l’établissement de la vérité historique : « L’Histoire dira un jour son mot. L’Afrique écrira sa propre histoire ».

Honneur aux maîtres de la parole qui conservèrent et transmirent. Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont rappelé au monde que non seulement l’Afrique était le berceau de l’humanité mais qu’elle était avec l’Asie mineure le berceau de la civilisation humaine.

Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont rappelé au monde l’existence des grands royaumes et des grands empires de l’Afrique. Honneur aux historiens de l’Afrique qui ont retracé les mille et une relations nouées bien avant la conquête, en des temps où le Sahara, la Méditerranée et l’Océan Indien n’étaient pas des frontières mais des points de passage et de mise en contact.

Quelqu’un est venu ici vous dire que « l’Homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ».

Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France. Car vous aussi, vous avez fait l’histoire, vous l’avez faite bien avant la colonisation, vous l’avez faite pendant, et vous la faites depuis.

Et ce que Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire ont magistralement accompli avec le concept « négritude » , vous l’avez poursuivi avec le mot « Afrique », cet étendard d’une dignité reconquise. » 

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