« Les derniers jours de la classe ouvrière » par Aurélie FILIPPETTI

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Aurélie Filippetti nous raconte l’agonie d’une industrie jadis fer de lance de l’économie française. Avec fierté et respect, elle, la fille de mineur, évoque son enfance à Longwy... En hommage à une population disparue, écrasée par les patrons et les restructurations industrielles.

Editeur : Stock Publication :17/9/2003 Prix éditeur : 15 euros – Prix alapage.com : 14.25 euros 200 pages

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Des enfants de Lorraine se mettent à écrire. Parmi eux, Aurélie Filippetti. À son contact, la classe ouvrière veut encore faire parler d’elle.En hommage à ce père disparu trop tôt et parce que le deuil est impossible, Aurélie Filippetti, fille et petite-fille de mineur, subtile normalienne de trente ans, a écrit les Derniers Jours de la classe ouvrière. Elle y a mis cinq ans de sa vie. Une vie commencée à Audun-le-Tiche, Pays-Haut, Lorraine. Une région au passé prestigieux, où l’or avait la couleur du minerai de fer, poussière tueuse, où le travail avait valeur de solidarité, de dignité, d’engagement politique. Un bout de terre, aujourd’hui laminé, où ses héritiers expatriés tentent lors du retour d’y retrouver ce qui a disparu. Une mémoire vivante dont ils veulent encore se souvenir.

Vous racontez l’histoire de votre famille – Italiens immigrés en Lorraine, communistes -, comment s’est imposée l’histoire de ce livre ?

Aurélie Filippetti. L’idée de ce livre est venue de ma prise de conscience que cette histoire-là n’est pas du tout connue, en tout cas, pas assez à mon sens : l’histoire de ces immigrés italiens ou polonais venus travailler en Lorraine – c’était valable aussi pour le Nord – qui ont été pour moi des vrais héros de l’épopée industrielle, et qui ont été balayés et jetés aux oubliettes de l’histoire d’une manière qui me semblait injuste. J’avais envie de leur rendre justice.

Pourquoi avoir choisi une forme d’écriture fragmentée, éclatée, pour signifier une Lorraine en lambeaux ?

Aurélie Filippetti. Effectivement. Je crois que la forme doit correspondre au fond, à ce que l’on veut faire passer, à ce que l’on veut exprimer. Écrire un roman avec des personnages et une chronologie linéaire aurait été contraire à ce que je voulais exprimer, c’est-à-dire la violence sociale énorme qui s’exerçait à l’encontre de ces gens, et pour cette violence-là, il fallait que je trouve un moyen esthétique, au sens littéraire, de l’exprimer.

C’est vrai que les chapitres sont venus naturellement et cela correspond bien à tous ces destins brisés.

Aurélie Filippetti. Dès 1920, avec l’arrivée d’immigrés italiens, mais auusi polonais ou ukrainiens, la Lorraine se forge une identité… C’était comme un microcosme, des gens qui étaient à la fois immigrés, c’est vrai beaucoup d’Italiens, ouvriers et mineurs. Au sein de la classe ouvrière, c’était très particulier, ils étaient presque l’archétype de la classe ouvrière, avec la solidarité.

…Une certaine noblesse de la classe ouvrière.

Aurélie Filippetti. Une fierté, une dignité. Et puis il y avait le militantisme communiste quoique certains en disent. J’ai eu des retours du livre – en général très positifs – mais il y en qui sont venus me dire : mais enfin tout le monde n’était pas communiste là-bas. Oui, peut-être mais quand même beaucoup ou alors ils étaient à la CGT, c’était avant tout des gens de gauche, profondément à gauche, il ne faut pas se raconter d’histoires. Cette petite société de mineurs était donc tout à la fois un mélange d’italianité, de militantisme politique et de culture de classe.

Vous écrivez :  » À la mine, un homme seul est un homme mort. « 

Aurélie Filippetti. C’était la phrase que mon père, que les mineurs répétaient tout le temps. Mon père me racontait, comme il était militant syndical et politique, pour le punir, il avait été envoyé dans les galeries, tout seul. Il me disait : huit heures, tout seul, au fond d’une galerie, tu ne peux pas savoir ce que c’est.

Ces hommes entretenaient un attachement viscéral au travail. N’est-ce pas non plus la catastrophe du travail que vous décrivez ?

Aurélie Filippetti. C’est un des grands thèmes, à mon avis. Aujourd’hui, dans tout le discours qu’on entend sur le travail, il y a un renversement, une rhétorique que je trouve indécente. Les gens des classes populaires ont envie de travailler, ils en sont fiers quand ils le peuvent. Culpabiliser les chômeurs en disant qu’ils sont au chômage parce qu’ils ne veulent pas travailler, mais enfin qui parle et de qui parle-t-on ? Quand on voit tous ces ouvriers, qui pendant les cent cinquante ans de l’industrialisation à outrance, ont trimé comme des brutes, aujourd’hui, on leur dit : c’est de votre faute, vous ne travaillez pas assez ou vous n’êtes pas assez compétitifs, et que l’on culpabilise leurs enfants, c’est vraiment indécent.

Ce travail, ils l’avaient dans la peau, jusqu’à la fin, et pourtant, ils l’aimaient ce travail…

Aurélie Filippetti. C’est très paradoxal. C’est difficile pour certains de comprendre comment ils pouvaient aimer un travail si dur. Ils étaient à la fois conscients qu’ils avaient des métiers très dangereux, où ils étaient exploités, et en même temps, ils en étaient fiers, fiers de la société qu’ils avaient créée, le fait de travailler ensemble, de manière collective, les solidarités, les luttes qui avaient eu lieu et qu’ils avaient gagné pour des droits.

Il y avait l’idée d’un progrès social, qu’ils faisaient partie de la classe ouvrière, qu’ils avaient une fonction très importante dans la société, qui était valorisée par le Parti communiste français. Avec le déclin du PCF, c’est aussi cela qui a disparu. Le titre de mon livre, les Derniers Jours de la classe ouvrière, c’est ça pour moi. Ce n’est pas dire du tout qu’il n’y a plus d’ouvriers en France, bien au contraire, c’est dire, on ne parle plus de classe ouvrière, c’est cette valorisation du monde ouvrier qui a disparu, en particulier du discours politique, et ça, c’est tragique.

Quand on entend des jeunes dire, on ne veut pas être ouvrier, on ne peut pas leur en vouloir, ces métiers-là sont dévalorisés. Ils savent que leurs parents ont été pris pour de la chair à usine, on ne peut pas leur en vouloir d’être méfiants. À Metz, j’ai rencontré une jeune fille qui travaillait dans l’un des derniers hauts fourneaux, à Hayange, elle avait lu le livre, en avait parlé avec ses collègues, et elle s’était demandée : on fait le même travail que nos parents, pourquoi a-t-on perdu cette solidarité-là, que s’est-il passé ?

Vous sentez-vous dépositaire d’une mémoire commune ?

Aurélie Filippetti. Je suis l’une des dépositaires. À partir du moment où j’avais cette mémoire, où je vivais cette histoire, j’avais l’impression d’avoir été témoin de quelque chose d’extraordinaire, d’unique et de rare, et j’avais le devoir d’en parler.

Que pouvait signifier pour vous le reniement de l’héritage,  » trouver ridicule cet accent lorrain, un jour honte de sa culture et n’en plus parler  » ?

Aurélie Filippetti. C’était ma peur, j’avais cette angoisse – un peu moins depuis le livre – de me dire que finalement, j’allais trahir. Mon père avait toujours refusé d’être autre chose qu’ouvrier, sauf délégué mineur, là il était élu par les camarades, mais moi j’avais accepté de faire des études, donc j’avais peur de trahir.

Ce père mort qui ouvre et clôt le livre reste fidèle à son engagement mais aussi toujours en proie au doute…

Aurélie Filippetti. C’est étrange, c’est comme s’il n’y avait pas eu d’autre issue que la mort. Mon père avait toujours été habité par le doute, mais je crois comme tous les militants communistes. Il fallait vraiment être inconscient pour ne pas se poser de questions, sauf les apparatchiks, mais eux avaient leur intérêt propre. J’ai toujours vu mon père douter, être dans des contradictions, entre ce qu’il pensait vraiment et ce qu’il devait dire aux camarades, parce que pour les convaincre de suivre la ligne, eh bien c’est lui qui devait les convaincre, et même quand il doutait, il faisait comme s’il ne doutait pas !

Vous semblez critique face à ces permanents du PCF qui intimaient à la base l’ordre d’exécuter ?

Aurélie Filippetti. Prague a été un très bon exemple. Au moment de Prague, il y eu cet espoir, d’ailleurs le PCF va réprouver et condamner l’URSS, et le lendemain, chambardement, il fallait de nouveau suivre la ligne.Mon père avait en lui très fort le mythe du Parti communiste italien. Heureusement qu’il y avait le PCI parce que cela leur donnait encore le sentiment d’être communistes.

Lorsque je retourne en Lorraine, je recherche les traces de ce qui n’est plus…On a l’impression que ce qui est perdu, sera perdu définitivement. Quand on va là-bas et qu’on se dit, là il y avait une usine, il y avait 7 000 personnes, il n’y a plus rien, c’est une manière de dire, il ne s’est rien passé, de nier le travail et le courage de ces hommes, c’est insupportable. La mémoire ouvrière et industrielle est fondamentale.

Entretien réalisé par Virginie Gatti

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En liens: Le retour d’Aurélie en Lorraine

Le journal de FR3 annonçant son élection (surprise?) face au dénommé Missoffe, héritier des Maitres de Forges:

http://www.dailymotion.com/related/3711620/video/x2b9vs_reportage-fr3-resultats-legislative_politics

Et le fameux « Faîtes que ma soeur soit à l’Assemblée Nationale » de Ségolène Royal:

http://www.dailymotion.com/related/5057939/video/x27jwk_aurelie-ma-soeur_politics

 

 

 

 

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